Parmi les nombreux sujets abordés dans la réforme de la santé au travail, l’accord national interprofessionnel (ANI) insiste sur l’importance d’agir tôt dans la prévention de la désinsertion professionnelle.
Découvrez l’analyse complète de notre experte.
1 – Les enjeux de la désinsertion professionnelle
2 – Anticiper avec la prévention primaire
Accompagner les travailleurs et les entreprises dans la prévention de la désinsertion professionnelle est une priorité actuelle de notre politique publique.
Cette priorité fait son apparition dans la stratégie nationale de santé 2018-2022 avec un objectif visant à « prévenir la désinsertion professionnelle et sociale des malades, des blessés et des victimes d’accidents sanitaires ou traumatiques[1] ».( cf axe II « lutter contre les inégalités sociales et territoriales d’accès à la santé »).
1 – Les enjeux de la désinsertion professionnelle
Les blessés par accidents du travail ou de la route, les salariés souffrants de maladies professionnelles (troubles musculosquelettiques (TMS) en première ligne) ou atteints de maladies chroniques évolutives[2] (MCE) sont associés à :
- un risque accru d’incapacité professionnelle,
- de limitation dans leurs activités,
- d’absentéisme au travail
- et in fine à un risque de désinsertion professionnelle et sociale.
Il n’existe pas de mesure directe du nombre de salariés risquant de perdre leur emploi à court ou moyen terme en raison d’un problème de santé ou d’un handicap. Mais ce sont vraisemblablement 1 à 2 millions de salariés qui sont exposés à ce risque, soit 5 à 10% d’entre eux.[3]
Rien d’étonnant dès lors que cette problématique de la désinsertion professionnelle tienne une place privilégiée dans le rapport sur la santé au travail de Charlotte Lecocq en 2018[4] et donc dans l’ANI du 9 décembre 2020.
Mais traiter cette problématique est donc d’autant plus complexe qu’elle recouvre certes le domaine professionnel mais également le domaine personnel.
Les enjeux sont d’ailleurs multiples :
- enjeu de santé publique,
- enjeu démographique (population vieillissante et âge de la retraite qui recule),
- économique (maintien des compétences et de l’efficacité, gestion des ressources humaines)
- et social (garantie du climat social de l’entreprise par exemple).
2 – Anticiper avec la prévention primaire
Prévenir la désinsertion professionnelle c’est donc agir pour permettre à des personnes de rester en activité grâce à des aménagements de poste, des changements d’activité ou d’emploi.
Pour cela il est nécessaire d’envisager une approche anticipatrice. Celle-ci s’inscrivant dans la priorité donnée par l’ANI à la prévention primaire : « le dispositif de santé au travail en France […] a trop longtemps été centré sur la réparation au détriment d’une approche positive donnant la priorité à la prévention primaire ».
Qu’est-ce que la prévention primaire ?
C’est celle qui cherche à éviter la survenue d’un risque ou d’une problématique, (supprimer les causes).
A l’inverse de la prévention secondaire :
Eviter les dommages, détecter au plus tôt et intervenir pour éviter une aggravation.
Et de la prévention tertiaire :
Une fois l’accident ou le problème survenu, limiter les dommages et éviter la survenue de complications.
Notons à ce propos que le terme de « désinsertion professionnelle » est très proche de celui également employé de maintien dans l’emploi mais l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) invite à le privilégier. Elle indique dans un rapport de 2017[5] que ce terme de désinsertion professionnelle « introduit l’idée d’une continuité entre la prévention primaire des accidents et maladies d’origine professionnelle, la prévention secondaire, lorsqu’apparaissent des difficultés liées à un problème de santé avéré, pour les traiter le plus précocement possible, et enfin, tertiaire, pour réduire les effets sur l’emploi des complications ».
Pour agir dans le cadre d’une prévention primaire, un repérage précoce du risque de désinsertion professionnelle s’impose donc. Il nécessite l’implication de différents acteurs qui doivent fonctionner « en réseau, dans une démarche mutualisée ».
On peut déjà citer le trio tenant le rôle essentiel :
- médecin traitant
- médecin du travail
- médecin conseil de la sécurité sociale.
Citons également l’employeur, le management de proximité et le salarié c’est à dire les acteurs qui ont à gagner dans la démarche…sans oublier, les préventeurs, les ergonomes, les acteurs du handicap etc.
A noter : une vidéo réalisée par la CNAM Normandie illustre parfaitement la réussite d’une telle collaboration dans une expérience de maintien en emploi d’un jeune accidenté de la route.
3 – Les propositions de l’ANI
Dans ce contexte l’accord propose :
- l’adaptation d’outils existants :
- systématisation des visites de reprise et de pré-reprise,
- mise en œuvre d’une visite de mi-carrière pour repérer une inadéquation poste de travail / état de santé,
- exploitation des enseignements des plateformes pluridisciplinaires de prévention de la désinsertion professionnelle en cours de test[6]
- un renforcement de la mission de prévention de la désinsertion professionnelle des Services de Santé au Travail Interprofessionnels (SSTI renommés SPSTI[7] dans le cadre de l’ANI). Ces services auraient notamment pour rôle de créer :
- des dispositifs d’acculturation et de mise en place de la prévention primaire du risque de désinsertion professionnelle
- et des dispositifs d’alarme de risque de désinsertion professionnelle dans l’entreprise.
- la mise en place de cellules de Prévention de la Désinsertion Professionnelle (« cellules PDP ») au sein des SPSTI visant à améliorer leur articulation avec le réseau régional. L’objectif est de permettre à la cellule d’apporter aux situations individuelles des solutions personnalisées et de proximité, en privilégiant le maintien au poste avec son aménagement. Dès lors qu’une situation de désinsertion professionnelle serait repérée, un plan de retour au travail pourrait être formalisé entre l’employeur, le salarié et la cellule.
Les missions de ces cellules seraient alors de proposer :
-
- une sensibilisation des acteurs internes de l’entreprise à la PDP,
- des signalements précoces,
- un accompagnement en amont des parties prenantes,
- des aménagements de poste ou des solutions de maintien en emploi du salarié ou des aides au reclassement/reconversion (lien CPF transition).
Pour ce faire, le SPSTI devra organiser les échanges entre le médecin du travail, le médecin conseil de la CPAM et le Médecin Praticien Correspondant (MPC) du salarié exerçant en ville, et le cas échéant le médecin traitant, la plateforme pluridisciplinaire de la CNAM. Il devra également coordonner le travail en commun de tous les acteurs pouvant intervenir dans le domaine : la MDPH, l’AGEFIPH et Pôle Emploi (avec le réseau Cap Emploi), les associations dédiées, etc.
Concluons cet article en soulignant qu’il est plus que jamais temps de passer de politiques curatives à des politiques de prévention primaire, agissant en amont de la survenue du risque ou de la problématique. Une telle stratégie prend tout son sens dans le cadre de la thématique de la désinsertion professionnelle, qui promet d’être un sujet de préoccupation pour de nombreuses années.
Les différentes réglementations concernant la prévention de la pénibilité (période 2010-2016 principalement) ont amorcé ce virage de la prévention primaire mais force est de constater que la démarche n’a pas vraiment aboutie. Gageons que ce sujet de la désinsertion professionnelle puisse, avec ce nouvel accord, aller un peu plus loin dans cette volonté.
Réforme de la santé au travail : en savoir plus sur le passeport prévention
[1] Les victimes d’événements traumatiques s’entendent comme victime d’attentats ou de faits de guerre
[2] Les maladies chroniques évolutives (MCE) recouvrent des pathologies très diverses (cancer, diabète, sclérose en plaques, maladies cardio-vasculaires, maladies psychiques, sida…), et se caractérisent par des épisodes plus ou moins longs, avec des évolutions plus ou moins favorables. Mais, surtout, elles sont en progression significative parmi la population salariée. Plusieurs facteurs sont en cause dont : progrès thérapeutiques (moins de décès, durée de vie plus longue) et allongement de la vie professionnelle.
[3] Source : rapport IGAS de 2017 « La prévention de la désinsertion professionnelle des salariés malades ou handicapés ».
[4] Même année que la publication de la stratégie nationale
[5] Rapport « La prévention de la désinsertion professionnelle des salariés malades ou handicapés » décembre 2017
[6] La CNAM travaille actuellement à la mise en place de plateformes mutualisées de prévention de la désinsertion professionnelle qui offriront leurs services aux assurés en arrêt de travail repérés ou signalés. Elles permettront d’associer l’ensemble des acteurs internes aux organismes locaux d’Assurance maladie (services administratifs, service médical…) et externes (médecins du travail, services publics de l’emploi comme les Cap emploi…).
[7] Service de Prévention et de Santé au Travail Interentreprises
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