Trois décrets d’application[1] de la loi Travail (loi du 2 août 2021) sont parus les 17 et 20 mars derniers concernant principalement des mesures relatives au document unique, à la prise en charge des formations en santé sécurité au travail (SST) par les opérateurs de compétences, à la désinsertion professionnelle et au suivi post-professionnel.
Concernant la désinsertion professionnelle cet avis d’expert fera le point sur le rendez-vous de liaison, les visite de pré-reprise et de reprise, la visite de mi-carrière, les dispositifs « essai encadré », « convention de rééducation professionnelle » et projet de transition professionnelle ».
Découvrez la synthèse de notre experte Carole Podymski sur ces dispositions qui entrent en vigueur à partir du 31 mars 2022.
1. L’évaluation des risques professionnels
2. La prise en charge des formations en SST par les opérateurs de compétences
3. La désinsertion professionnelle
4. La surveillance post-exposition
1. L’évaluation des risques professionnels
1.1 Le DUERP (Document Unique d’Evaluation des Risques Professionnels)
Corréler le DUERP et les actions de prévention !
Un alinéa est ajouté par le décret n° 2022-395 à l’article R. 4121-2 du code du travail indiquant : « la mise à jour du Programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail (Papripact) ou de la liste des actions de prévention et de protection […] est effectuée à chaque mise à jour du DUERP, si nécessaire ».
Cet alinéa souligne que la mise à jour du Papripact (entreprise de plus de 50 salariés) ou la liste des actions de prévention et de protection (entreprise de moins de 50 salariés) doit être effectuée à chaque mise à jour du DUERP venant ainsi renforcer sa finalité.
C’est à dire d’évaluer les risques afin de mettre en place des actions de prévention et non pas simplement pour le simple fait de répondre à une obligation réglementaire.
Corréler le DUERP aux documents de prévention (Papripact et liste d’actions) était, rappelons-le, un enjeu majeur de la loi santé au travail.
Focus sur le terme « si nécessaire » : absent dans le projet de décret, ce terme peut interroger tant il semble évident de mettre à jour les actions de prévention à la suite d’une modification du DUERP (apparition d’un nouveau risque, augmentation d’une cotation…), sauf, peut-être, dans le cas d’une suppression d’un risque…
Archiver en version papier ou numérisée les différentes versions du DUERP en attendant la plateforme
« Le DUERP, dans ses versions successives, est conservé par l’employeur et tenu à la disposition des travailleurs, des anciens travailleurs ainsi que de toute personne ou instance pouvant justifier d’un intérêt à y avoir accès. La durée, qui ne peut être inférieure à 40 ans, et les modalités de conservation et de mise à disposition du document ainsi que la liste des personnes et instances sont fixées par décret » (extrait article L.4121-3-1 dans sa version en vigueur au 31 mars 2022).
Concernant cet alinéa il faut rappeler qu’une plateforme numérique de dépôt de document unique a été prévue par la loi mais n’est pas encore opérationnelle.
De ce fait, le décret n° 2022-395 du 18 mars 2022 précise que c’est bien à l’employeur de conserver les versions successives du DUERP sous la forme d’un document papier ou dématérialisé (article R.4121-4 du code du travail) et ce :
- Jusqu’au 1er juillet 2023 pour les entreprises d’au moins 150 salariés,
- Jusqu’au 1er juillet 2024 pour les entreprises de plus de 150 salariés.
Les dates ci-dessus sont les dates correspondent aux dead-lines, en fonction des effectifs, pour la mise en place de la plateforme.
Accéder au DUERP quand on a quitté l’entreprise
Conformément à la loi santé de 2021, le décret n° 2022-395 indique que les anciens travailleurs peuvent avoir accès aux versions antérieures du DUERP et précise les conditions :
- « le DUERP et ses versions antérieures sont tenus à la disposition […] des travailleurs et des anciens travailleurs pour les versions en vigueur durant leur période d’activité dans l’entreprise »,
- « la communication des versions du DUERP antérieures à celle en vigueur à la date de la demande peut être limitée aux seuls éléments afférents à l’activité du demandeur »,
- « les travailleurs et anciens travailleurs peuvent communiquer les éléments mis à leur disposition aux professionnels de santé en charge de leur suivi médical ».
Consulter le DUERP quand on appartient au SPST
Le DUERP n’était accessible qu’au médecin du travail et aux professionnels de santé, il est désormais tenu à la disposition de l’ensemble du SPST (Service de Prévention et de Santé au Travail) qui englobe :
- Les médecins du travail et collaborateurs médecins (internes en médecine du travail, infirmiers),
- les assistants de services de santé au travail et les professionnels recrutés après avis des médecins,
- les IPRP (Intervenants en Prévention des Risques Professionnels.
Exonérer les TPE de moins de 11 salariés de la mise à jour annuelle
L’obligation de mise à jour annuelle est supprimée pour les entreprises de moins de 11 salariés.
NB : de longue date (2012) existait la potentialité d’un allègement pour ces TPE puisque avait été ajouté un alinéa à l’article L.4121-3 du code du travail précisant que (sous certaines réserves) la mise à jour pouvait « être moins fréquente dans les entreprises de moins de 11 salariés ».
Cette potentialité est désormais clairement actée.
Cette obligation de mise à jour reste toutefois valable en cas de décision d’aménagement important ou lorsqu’une information supplémentaire intéressant l’évaluation d’un risque est portée à la connaissance de l’employeur.
NB : le terme « lorsqu’une information supplémentaire intéressant l’évaluation d’un risque dans une unité de travail est recueillie » a été remplacé par « lorsqu’une information supplémentaire intéressant l’évaluation d’un risque est portée à la connaissance de l’employeur », mettant ainsi l’accent sur le fait que l’employeur doit avoir eu connaissance de cette information nécessitant une mise à jour.
1.2 Focus évaluation du risque chimique
L’article R. 4412-6 du code du travail indique ce que l’employeur doit prendre en compte pour réaliser l’évaluation du risque chimique (la nature du risque, la durée de l’exposition etc).
Le décret n° 2022-395 du 18 mars ajoute à cette liste l’obligation de prendre en compte les situations de polyexpositions à plusieurs agents chimiques, plus précisément les effets combinés de l’ensemble des agents, « en cas d’exposition simultanée ou successive à plusieurs agents chimiques ».
Il est notable que l’exposition d’un salarié à différents agents chimiques interagissant entre eux peut produire des effets aggravés pour sa santé.
Rappelons utilement ici que L’INRS a développé un outil fort utile sur les combinaisons dangereuses de produits chimiques[2].
2. La prise en charge des formations en SST par les opérateurs de compétences
Depuis la loi du 2 août 2021, la question des personnes devant (et non « pouvant ») bénéficier d’une formation en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail est claire.
Il s’agit des membres de la délégation du personnel du CSE, du référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes (désigné par le CSE)[3] et du salarié « préventeur » (« salarié compétent pour s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels de l’entreprise », cf article L. 4644-1[4].
Le décret n° 2022-395 liste les dépenses liées à ces formations que les opérateurs de compétences peuvent prendre en charge, à savoir :
- les coûts pédagogiques,
- la rémunération et les charges sociales légales et conventionnelles des salariés en formation,
- les frais annexes de transport, restauration, hébergement (lorsque les formations se déroulent pour tout ou partie en dehors du temps de travail, les frais de garde d’enfants ou de parents à charge.)
Il est précisé que le conseil d’administration de l’opérateur de compétences déterminera les priorités et les critères de prise en charge des demandes présentées par les employeurs.
Téléchargez notre Catalogue de formations RH
3. La désinsertion professionnelle
Sur ce sujet les décrets d’application instaurent le rendez-vous de liaison, modifient les durées au-delà desquelles les visites de pré-reprise et de reprise sont requises, modifient les modalités de la CRPE (Convention de Rééducation Professionnelle en Entreprise) et du projet de transition professionnelle et explicitent « l’essai encadré ».
3.1 Rendez-vous de liaison
On a vu apparaitre le « rendez-vous de liaison » dans la loi du 2 août 2021 avec pour objet d’informer un salarié absent qu’il peut bénéficier d’actions de prévention de la désinsertion professionnelle.
Ce rendez-vous est organisé entre le salarié et son employeur, à l’initiative de l’un ou de l’autre, et peut avoir lieu durant l’arrêt de travail. Le SPST y est associé (le référent handicap aussi à la demande du salarié) mais, attention, ce n’est pas un rendez-vous à caractère médical.
On attendait du décret d’application qu’il fixe la durée d’absence au-delà de laquelle ce rendez-vous peut être organisé : c’est chose faite, le décret n° 2022-373 fixe une organisation possible pour tout arrêt de travail d’au moins 30 jours.
Dans la réalité, cette mesure vient formaliser un entretien qui est déjà réalisé dans certaines entreprises.
3.2 Visites de pré-reprise et de reprise
Le même décret n°2022-373 :
- diminue de 3 mois à 30 jours d’arrêt de travail en cas d’absence d’origine professionnelle ou non, la possibilité d’organiser une visite de pré-reprise[5]. Cette visite de préreprise, qui a également lieu pendant l’arrêt de travail du salarié, est bien cette fois un examen médical. Elle vise à aider le salarié à reprendre son emploi ou un emploi compatible avec sa situation.
- augmente de 30 à 60 jours l’obligation d’effectuer une visite de reprise en cas d’absence pour cause de maladie ou d’accident non professionnel (reste à 30 jours en cas d’absence pour cause d’accident d’origine professionnel et quelle que soit la durée en cas d’absence pour cause de maladie professionnelle. Reste obligatoire également suite à un congé maternité).
3.3 Visite de mi-carrière
A ce sujet, la loi du 2 août 2021 a créé un article L. 4624-2-2 assez conséquent (code du travail), article entrant en vigueur le 31 mars et n’appelant pas de précision particulière. Les décrets d’application n’en font donc pas état.
Rappelons que cet article indique que tout travailleur doit être examiné par le médecin du travail (ou par un infirmier de santé au travail exerçant en pratique avancée) au cours d’une visite médicale de mi-carrière organisée à une échéance déterminée par accord de branche ou, à défaut, durant l’année civile de son 45ème anniversaire.
Cet examen médical vise notamment à :
- établir un état des lieux de l’adéquation entre le poste de travail et l’état de santé du travailleur,
- évaluer les risques de désinsertion professionnelle,
- sensibiliser le travailleur aux enjeux du vieillissement au travail.
3.4 L’essai encadré et la CRPE (Convention de Rééducation Professionnelle en Entreprise)
Dans sa version à venir au 31 mars 2022, l’article L.323-3-1 du code de la sécurité sociale mentionne deux actions d’accompagnement auxquelles la caisse[6] peut participer à la demande de l’assuré :
- l’essai encadré, organisé selon des modalités définies par décret,
- la CRPE (Convention de Rééducation Professionnelle en Entreprise).
L’essai encadré
Le code de la sécurité sociale est ainsi complété de 8 articles par le décret n° 2022-373 (articles D. 323-6 à D. 323-6-7) concernant les modalités de mise en place de l’essai encadré.
Le décret précise que cet essai doit permettre au bénéficiaire, d’évaluer, pendant l’arrêt de travail, au sein de son entreprise ou d’une autre entreprise, la compatibilité d’un poste de travail avec son état de santé.
Sa durée ne peut excéder 14 jours ouvrables, renouvelable dans la limite d’une durée totale de 28 jours.
Enfin, le bénéficiaire devra être suivi par un tuteur au sein de l’entreprise dans laquelle il effectue son essai. A l’issue de la période, un bilan sera réalisé par le tuteur, en lien avec le bénéficiaire, bilan qui sera communiqué au médecin du travail.
L’assurance maladie prend en charge la totalité des indemnités journalières du salarié.
La CRPE – Convention de Rééducation Professionnelle en Entreprise
L’objectif de la CRPE est de réadapter un travailleur inapte à son ancien poste de travail ou de le former à un nouveau métier.
Là encore le code de la sécurité sociale est complété, cette fois par le décret n° 2022-372, par 4 articles (article R. 323-3-1 et articles R. 5213-15 à 17) qui précisent les modalités de mise en œuvre de la CRPE, notamment celles relatives au calcul, à la prise en charge et au versement de la rémunération du salarié, selon que la rééducation professionnelle soit effectuée au sein de l’entreprise du salarié ou dans une autre entreprise.
Autrefois « contrat de rééducation professionnelle en entreprise » réservé aux travailleurs handicapés, la convention s’étend désormais aux travailleurs déclarés inaptes ou pour lesquels le médecin du travail a identifié un risque d’inaptitude (article L.1226-1-4).
Elle est conclue entre l’employeur, le salarié et la caisse (article L5213-3-1 du code du travail) et détermine les modalités d’exécution de la rééducation professionnelle ainsi que le montant et les conditions dans lesquelles la caisse verse au salarié l’indemnité journalière.
3.5 Le projet de transition professionnelle
Le projet de transition professionnelle est une modalité particulière de mobilisation du CPF (Compte Personnel de Formation), permettant aux salariés souhaitant changer de métier ou de profession de financer des formations certifiantes en lien avec leur projet[7]. Dans ce cadre, le salarié peut bénéficier d’un droit à congé et d’un maintien de sa rémunération pendant la durée de l’action de formation.
Normalement conditionné à une certaine ancienneté, le décret n° 2022-373 vient fixer la durée de l’arrêt de travail qui permet au salarié de bénéficier du dispositif sans condition d’ancienneté.
L’article D. 6323-9 du code du travail est en effet complété par un alinéa précisant que les conditions d’ancienneté « ne s’appliquent pas pour un salarié ayant connu, quelle qu’ait été la nature de son contrat de travail et dans les 24 mois ayant précédé sa demande de projet de transition professionnelle :
- une absence au travail résultant d’une maladie professionnelle ou,
- une absence au travail d’au moins 6 mois, consécutifs ou non, résultant d’un accident du travail, d’une maladie ou d’un accident non professionnel. »
4. La surveillance post-exposition
Le décret n° 2022-372 clarifie et adapte les conditions et règles applicables dans le cadre de la surveillance post-exposition ou post-professionnelle.
Il précise notamment que la visite médicale prévue à l’article L. 4624-2-1 du code du travail (travailleurs bénéficiant du dispositif de suivi individuel renforcé ou qui ont bénéficié d’un tel suivi au cours de leur carrière) doit être effectuée dès la survenue des différents cas de cessation de l’exposition aux risques et en prévoyant que l’état des lieux des expositions, dressé au cours de la visite, soit versé au dossier médical en santé au travail, afin d’assurer un meilleur suivi de la santé du salarié.
Cet examen médical vise en effet à établir une traçabilité et un état des lieux, à date, des expositions à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels auxquelles a été soumis le travailleur.
Dès lors, le médecin du travail, s’il constate une exposition du travailleur à certains risques dangereux, a l’obligation (et non plus « la faculté ») de mettre en place une surveillance post-exposition ou post-professionnelle, en lien avec le médecin traitant et le médecin conseil des organismes de sécurité sociale.
[1] Décret n° 2022-372 du 16 mars 2022 relatif à la surveillance post-exposition, aux visites de préreprise et de reprise des travailleurs ainsi qu’à la convention de rééducation professionnelle en entreprise
Décret n° 2022-373 du 16 mars 2022 relatif à l’essai encadré, au rendez-vous de liaison et au projet de transition professionnelle
Décret n° 2022-395 du 18 mars 2022 relatif au document unique d’évaluation des risques professionnels et aux modalités de prise en charge des formations en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail par les opérateurs de compétences
[2] L’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles a publié une base de données en ligne sur les réactions chimiques dangereuses. Plus de 4 000 combinaisons de substances chimiques produisant une réaction chimique dangereuse ou un violent dégagement d’énergie (déflagration, détonation, projection de matière ou inflammation) y sont recensées
[3] Article L2315-18 : les membres de la délégation du personnel du CSE et le référent prévu au dernier alinéa de l’article L. 2314-1 (NDLR : référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes désigné par le CSE) bénéficient de la formation nécessaire à l’exercice de leurs missions en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail […].
[4] Article L4644-1 : l’employeur désigne un ou plusieurs salariés compétents pour s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels de l’entreprise. Le ou les salariés ainsi désignés par l’employeur bénéficient d’une formation en matière de santé au travail […].
[5] Article R4624-30 : Au cours de l’examen de préreprise, le médecin du travail peut recommander : 1° Des aménagements et adaptations du poste de travail / 2° Des préconisations de reclassement / 3° Des formations professionnelles à organiser en vue de faciliter le reclassement du travailleur ou sa réorientation professionnelle.
[6] caisse primaire d’assurance maladie ou caisse générale de sécurité sociale
[7] dispositif entré en vigueur le 1er janvier 2019
Aucun commentaire