Les prestations sous-traitées représentent le deuxième poste de dépense déclaré au titre du Crédit Impôt Recherche. Cela en fait le plus important, après les dépenses de personnel.
Il s’agit pourtant d’un sujet dont les contours ne sont pas forcément très définis aujourd’hui, et qui est une source récurrente de difficultés lors de contrôles fiscaux, tant pour le donneur d’ordre que pour le sous-traitant.
Le contexte du Crédit Impôt Recherche (CIR) et de la sous-traitance :
Chaque année, le Ministère de la Recherche (actuellement dénommé le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation « MESRI ») publie un « guide du CIR » ayant pour vocation de préciser au contribuable les attentes du Ministère, et de l’administration fiscale qui collabore à sa rédaction, quant à la valorisation de son Crédit Impôt Recherche.
Ce guide n’a qu’une valeur informative et n’est opposable ni au contribuable ni à l’administration fiscale, ni au MESRI.
Dans son édition 2015, sans que les textes législatifs et réglementaires « opposables » ne soient modifiés sur le sujet, le guide du Ministère a indiqué, en sus des commentaires figurant dans les éditions des années précédentes, que pour être éligibles, « les travaux sous-traités doivent répondre à deux conditions :
- Correspondre à la réalisation de véritables opérations de R&D, nettement individualisées (une prestation sous-traitée qui n’est pas de la R&D n’est pas éligible au CIR même si elle est indispensable à la réalisation du projet) ;
- Le sous-traitant doit réaliser en interne la totalité des travaux qui lui sont confiés sans possibilité d’en sous-traiter tout ou partie. ».
En d’autres termes, une prestation sous traitée qui ne constitue pas, en elle-même, une opération de R&D, n’est pas éligible. Cette «précision», qui n’apparaissait dans aucun texte jusqu’alors, est reprise depuis dans toutes les éditions du guide du Ministère.
En outre, l’administration fiscale et le MESRI appliquent depuis quelques temps de manière récurrente cette nouvelle exigence lors des contrôles du CIR. Les donneurs d’ordre se retrouvent donc dans une situation inconfortable et incertaine, face à cette interprétation des textes de l’administration fiscale.
C’est de cette question que traite le développement ci-dessous, notamment à la lumière d’une décision rendue par la CAA de Nancy (CAA Nancy, 23 mars 2017, n°16NC00198, SARL Biotek agriculture) qui vient apporter un regard intéressant sur la question. L’article 244 quater B II du Code Général des Impôts, dispose que « les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d’impôt sont … :
1. « Les dotations aux amortissements des immobilisations, créées ou acquises à l’état neuf et affectées directement à la réalisation d’opérations de recherche scientifique et technique, (…)
2. Les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés à ces opérations. (…)
3. Les autres dépenses de fonctionnement exposées dans les mêmes opérations ; (…)
4. Les dépenses exposées pour la réalisation d’opérations de même nature confiées à : 1° Des organismes de recherche publics ; (…).
4(bis). Les dépenses exposées pour la réalisation d’opérations de même nature confiées à des organismes de recherche privés agréés (…) »
La loi est donc assez laconique sur le sujet, mais sa formulation « les opérations de même nature… » pourrait laisser penser que les dépenses éligibles en interne sont identiques, qu’elles soient internes ou liées à des travaux sous-traitées.
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La doctrine administrative :
La doctrine administrative (BOI-BIC-RICI-10-10-20-30-20170405) apporte un éclairage quant à l’interprétation de la loi.
Il est ainsi précisé sur le sujet :
§1 « Les dépenses exposées pour la réalisation d’opérations de recherche, confiées à des organismes de recherche publics ou à des organismes assimilés (code général des impôts [CGI], art. 244 quater B, II-d), ou à des organismes de recherche privés agréés par le ministre chargé de la recherche ou à des experts scientifiques ou techniques agréés dans les mêmes conditions (CGI, art. 244 quater B, II-d bis), sont retenues pour déterminer la base du crédit d’impôt.
Les dépenses engagées doivent correspondre à la réalisation de véritables opérations de recherche et de développement, nettement individualisées. ». C’est cette dernière phrase (et plus spécifiquement l’expression « dépenses de recherche nettement individualisées ») qui est aujourd’hui interprétée (sans doute à la lumière du guide du MESRI) comme l’exigence de retenir uniquement les dépenses qui correspondent à des dépenses de R&D « prises isolément ».
Cette même doctrine administrative définit les dépenses de recherche, et indique notamment (BOI-BIC-RICI-10-10-10-20-20161102, §310) : « Par ailleurs, dès lors qu’un projet est qualifié de projet de R&D, l’ensemble des opérations nécessaires à sa réalisation est considéré comme de la R&D, y compris dans le cas où ces opérations, si elles étaient prises isolément, ne constitueraient pas de la R&D. ».
Le BOI précité permet donc de considérer comme éligibles des dépenses qui ne sont pas des dépenses de recherche en tant que telles, « par rattachement » à des dépenses éligibles.
Il ressort cependant de nombreux contrôles fiscaux que l’administration fiscale considère que cette possibilité n’est valable que pour les dépenses « internes » à l’exclusion des dépenses externalisées.
La jurisprudence :
Les juges de la CAA de NANCY, le 23 mars 2017, ont apporté un éclairage intéressant sur la question.
Les juges avaient, dans cette espèce, à se prononcer sur l’éligibilité au CIR de travaux effectués par la société BIOTEK Agriculture, prestataire de service en expérimentation de produits destinés à l’agriculture.
Les juges ont estimé dans cet arrêt que :
« il résulte de l’instruction qu’à l’appui de ses prétentions, la société requérante se prévaut des différents travaux menés, en 2007 [2008 et 2009], pour le développement de deux pesticides (…), que toutefois, la société requérante s’est bornée à tester les résultats des différentes recherches menées par les sociétés lui ayant demandé d’effectuer ces essais ; que ces essais ne peuvent être regardés comme constituant des opérations de recherche éligibles au crédit d’impôt recherche ; qu’au demeurant, comme il vient d’être dit, l’ensemble des essais menés par la SARL Biotek Agriculture, qu’ils aient concerné des produits phytosanitaires ou des semences, l’ont été pour le compte de sociétés tierces ; qu’il s’ensuit que seules ces sociétés pourraient inclure les dépenses qu’elles ont ainsi supportées, en confiant ces opérations à la société requérante, parmi les dépenses éligibles au crédit d’impôt recherche ; qu’il suit de là que la SARL Biotek Agriculture n’est pas fondée à demander, à raison du coût des prestations de services ainsi effectuées, le bénéfice du dispositif prévu à l’article 244 quater B du code général des impôts quand bien même les essais qu’elle a menés s’inscrivaient dans le cadre d’une démarche de développement expérimental et qu’ils étaient indispensables avant toute mise sur le marché des produits phytosanitaires ou la commercialisation des semences ; »
En d’autres termes, les juges estiment que des travaux qui sont nécessaires à de la R&D mais qui n’en sont pas « pris isolément », doivent être valorisés chez le donneur d’ordre.
Il en résulte deux cas pour la valorisation de ce type de travaux au CIR :
- si vous êtes donneur d’ordre : cette jurisprudence tend à confirmer l’éligibilité au titre du CIR des phases expérimentales / essais terrains sous traités à un tiers, agréés et nécessaires aux opérations de R&D menées en interne ;
- si vous êtes prestataire : la valorisation de ce type de travaux semble être considérée ce à jour, en l’état de la jurisprudence, comme relevant d’activités dites « nécessaires » devant être déclarées par le donneur d’ordre.
La valorisation dans le CIR des expérimentations terrains passe par une implication dans une démarche de recherche interne.
Incidence sur les contrôles fiscaux :
Il n’existe pas, à notre connaissance, de décision du Conseil d’Etat sur le sujet. Ce point n’est donc pas « tranché » définitivement par les juges. Cette décision de la CAA de Nancy n’a d’ailleurs pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation de telle sorte qu’elle est définitive.
Cette jurisprudence date de 2017, et nous avons pu constater à plusieurs reprises que la lecture des vérificateurs pouvait rester la même, ces derniers continuant à contester les activités accessoires sous-traitées.
En revanche, cette décision rappelle – si cela était nécessaire – que les juges ne sont pas liés par la position de l’administration fiscale et peuvent avoir une interprétation différente de celle retenue par cette dernière.
En conclusion, valoriser les travaux « nécessaires » n’est pas, aujourd’hui, systématiquement validé par l’administration, et retenir de telles dépenses dans l’assiette de son CIR implique donc d’être prêt à éventuellement devoir défendre cette prise en compte devant les juridictions administratives.
Auteurs : François-Xavier Pic, Joëlle Maziere, Thomas Yven, Maître Eric Quentin.
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