Comment l’employeur peut-il contester devant les juridictions de sécurité sociale un arrêt de travail qui se prolonge suite à un AT MP, à défaut pour ce dernier de disposer d’un droit à l’expertise médicale ?
En cas d’accident de travail (AT) ou de maladie professionnelle (MP), l’employeur finance indirectement, à travers sa cotisation accident du travail, les dépenses que la Caisse primaire a pris en charge au titre de l’AT/MP (indemnités journalières, frais médicaux, rente…)
Chacun sait aussi que la durée d’arrêt de travail du salarié victime d’un AT/MP impacte le montant de la cotisation AT. Dans ce contexte il devient donc nécessaire pour l’employeur de vérifier la juste évaluation de la durée de l’arrêt de travail retenue ensuite d’un AT ou MP.
Cependant l’employeur ne dispose d’aucun droit à expertise médicale contrairement au salarié (art. L 141 CSS) face aux décisions des organismes de sécurité sociale.
Afin d’obtenir une telle expertise l’employeur doit utiliser la voie judiciaire, c’est l’expertise médicale judiciaire, mesure d’instruction à disposition du juge.
Pour emporter la conviction du juge et démontrer qu’il existe un litige d’ordre médical, l’employeur se trouve contraint de solliciter l’avis d’un médecin, lequel ne pourra se prononcer que s’il dispose de suffisamment d’éléments médicaux pour apprécier les prescriptions ainsi prolongées…
Or les CPAM refusent de fournir les pièces au-delà de la décision de prise en charge du sinistre initial et l’employeur n’est pas en mesure d’étudier l’ensemble des arrêts et soins prescrits même s’il lui semble que ces derniers se prolongent de manière disproportionnée – faute de contrôle.
Nombreux sont les employeurs qui faute de pouvoir apporter cette preuve impossible voient leurs demandes d’expertises rejetées, et sont ainsi privés de toute possibilité de contestation des arrêts de travail prescrits postérieurement à la décision de prise en charge du sinistre initial.
On leur oppose le principe de la présomption d’imputabilité, pouvant s’étendre jusqu’à la fixation par le médecin-conseil de la CPAM d’une date de consolidation ou de guérison du salarié.
L’employeur, dépendant du bon vouloir de l’organisme de sécurité sociale, se retrouve dans un rapport de force totalement déséquilibré puisqu’il n’a aucun levier d’intervention.
Face à cette situation pour le moins disproportionnée, la Cour de cassation a conditionné l’application de la présomption d’imputabilité à l’existence d’une continuité de symptôme et de soins.
Désormais, la charge de la preuve de la continuité de symptômes et de soins, condition nécessaire à l’application de la présomption d’imputabilité, pèse sur la CPAM.
La haute cour semble donc vouloir clarifier la situation et redonner un équilibre aux rapports entre employeur et CPAM face aux longueurs des arrêts de travail.
Dans un arrêt du 15 février 2018, la haute cour vient clairement préciser que « La présomption d’imputabilité énoncée à l’article L 411-1 du code de la sécurité sociale s’étend aux soins et arrêts de travail prescrits à la suite de l’accident délivrés sans interruption jusqu’à la date de consolidation, et qu’il appartient à la caisse primaire d’assurance maladie de rapporter la preuve de la continuité de symptômes et de soins » Ainsi pour se prévaloir de la présomption d’imputabilité des arrêts prescrits en suite d’un sinistre professionnel la CPAM doit apporter la preuve de la continuité de symptômes et de soins et les arrêts doivent être sans interruption.
Du fait des éléments de l’espèce qui mettaient en avant une interruption entre la décision de prise en charge et le premier arrêt prescrit au titre du sinistre professionnel , la cour poursuit dans cet arrêt : « ET attendu que l’arrêt relève que Mme Z a fait une déclaration de maladie professionnelle le 22 juin 2006 pour une tendinopathie de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche, suite à une intervention chirurgicale du 6 juin 2006, que le certificat médical initial produit à l’appui de cette déclaration ne fait mention d’aucun arrêt de travail, et que la caisse ne justifie d’arrêts de travail qu’à compter du 1er aout 2006; Que de ces constations procédant à l’appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve, la cour d’appel, qui a fait ressortir l’absence de continuité de soins et de symptômes, a exactement déduit que la présomption d’imputabilité ne s’appliquait pas. »
Ainsi la cour nous précise que la démonstration d’une continuité de symptômes et de soins est une condition d’application de la présomption d’imputabilité et que si la caisse ne produit pas d’éléments démontrant une telle continuité, elle ne peut opposer la présomption à l’employeur.
L’absence des conditions de la présomption permet de renverser la charge de la preuve en détruisant la présomption d’imputabilité, elle n’empêche évidemment pas la caisse de rapporter la preuve de cette imputabilité.
Ce que la Cour de cassation vient « reprocher » à la Cour d’appel est précisément de s’être abstenue de rechercher si, par les éléments que la caisse produisait, elle ne rapportait pas cette preuve, en constatant uniquement l’interruption des arrêts.
Les CPAM devront donc apporter en cas de rupture de la continuité des symptômes et des soins, la preuve du lien de causalité entre les arrêts pris en charge et le sinistre initial.
Il est légitime dans ce contexte d’espérer que les juges seront plus exigeants à l’égard des CPAM, lesquelles vont devoir produire les certificats médicaux qui ont justifié les prescriptions d’arrêt de travail.
Gageons que cette avancée permettra aux employeurs d’apporter plus facilement la preuve de l’existence d’un litige d’ordre médical, lorsque les arrêts de travail sont manifestement disproportionnés … voire injustifiés dès lors qu’ils révèlent l’existence d’une cause totalement étrangère au travail…
Avec la participation de Maître Cédric PUTANIER
En savoir plus sur le sujet : Comment maîtriser la longueur des arrêts de travail après un AT ?
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