Interview de M. Youri Ivanov, Président de la société SEPUR
SEPUR est une entreprise spécialisée dans le service aux collectivités locales : collecte de déchets, propreté urbaine et activités industrielles connexes (deux plateformes de tri de 90 000 tonnes et une plateforme de compostage de déchets verts de 45 000 tonnes).
La société a été créée en 1965 par M. Matuszewski et réalise 230 M€ de chiffre d’affaires. Elle compte aujourd’hui 2500 collaborateurs et une flotte de plus de 1300 véhicules.
Le métier de la collecte opérationnelle, un métier en pleine
mutation :
Si les ordures ménagères sont historiquement collectées en porte à porte, on note une évolution progressive vers d’autres modèles de collecte, comme par exemple l’apport volontaire qui se déploie de façon importante en Ile de France. Par ailleurs, des tests de mise en place de collectes en bennes robotisées sont à l’œuvre, avec un objectif de diminution de la masse salariale via le redimensionnement des équipages de ripeurs. Certaines collectivités mettent par ailleurs en place des processus de collecte pneumatique : il n’y a plus dès lors ni camion ni équipage, et les déchets sont transportés de façon souterraine par aspiration.
Aujourd’hui la collecte reste toutefois réalisée à 80% en chargement arrière classique et en porte à porte, et seulement 20% en apport volontaire. La tendance est de migrer progressivement vers cette dernière.
Du point de vue de la facturation des usagers par les collectivités, la redevance incitative est de plus en plus utilisée. On paye désormais à la levée de bac et non plus au forfait de taxe d’ordure ménagère, afin de mettre en place une taxe au service rendu.
Les collectivités prônent également une baisse de la fréquence de passage, qui était auparavant en moyenne de 104 passages par an et par administré, et qui s’élève aujourd’hui à 52 passages par an. La mise en place de la redevance incitative tendra vers 15 à 20 levées forfaitaires annuelles, les levées supplémentaires feront l’objet d’une facturation additionnelle.
Par ailleurs, le secteur fait face à une pression économique qui demande aux entreprises de :
- Revoir leur modèle organisationnel ;
- Mettre en place des réductions de fréquence de la collecte ;
- Développer des outils permettant de réduire les coûts de personnel et de matériel, afin de répondre aux clients à iso-périmètre, tout en baissant les charges.
La mutation du parc de matériel, un enjeu stratégique pour Sepur :
Les fluctuations inflationnistes du gasoil et la volonté de s’engager dans un processus environnemental vertueux ont amené SEPUR depuis de nombreuses années à se lancer dans un « verdissement » de sa flotte, en passant à la propulsion GNV (Gas Naturel de Ville) et à l’électrique.
Aujourd’hui, 60% de la flotte fonctionne au GNV, et un projet de « revamping » des anciens véhicules de collectes thermiques pour les passer en électrique est en cours. L’objectif est d’obtenir une flotte 100% verte dans les 5 à 6 années à venir.
De plus, des tests sont actuellement réalisés sur un certain nombre de contrats, afin de substituer les bennes à chargement arrière par des bras robotisés. L’objectif étant d’obtenir une baisse significative du nombre d’accidents du travail (AT), puisque aujourd’hui, 90% d’entre eux sont supportés par les ripeurs à l’arrière des camions. Egalement, un intérêt de réduction des coûts évident via une réduction des coûts du personnel.
Le pilotage et la réduction de la masse salariale comme leviers principaux pour répondre à ces nouveaux enjeux :
La masse salariale représente aujourd’hui 58% des coûts de l’entreprise (le carburant et la maintenance représentant respectivement 8% et 7%). Avoir « moins de personnel, mais du personnel plus qualifié », est la vision future du groupe SEPUR.
Afin de se préparer à ces enjeux, l’entreprise mène :
- Une mise en place d’une politique de décroissance des effectifs fixes, avec appel à du personnel intérimaire pour s’adapter aux pics de charge ;
- La formation du personnel à de nouveaux outils, notamment la collecte en apport volontaire et benne robotisée.
Des contraintes fortes qui pèsent sur le secteur…
On retrouve tout d’abord des contraintes sociales importantes : les deux tiers du personnel sont finalement peu qualifiés, avec des difficultés à s’adapter aux nouvelles technologies. Il convient donc d’extraire les talents pour les former aux métiers de demain. Le secteur doit également faire face à une pénurie importante de chauffeurs en Ile de France. On estime qu’il manque plus de 10 000 chauffeurs poids lourds dans la région, du fait des travaux engagés par les projets du grand Paris. Pour répondre à cette contrainte, SEPUR met en place des formations accélérées pour conférer aux opérateurs la qualification de chauffeur poids lourds.
De plus, on observe de véritables contraintes réglementaires. De nombreuses règles sont aujourd’hui imposées par la DRIRE (Direction Régionale de l’Industrie de la Recherche et de l’Environnement) et la DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement), et ralentissent le rythme de déploiement d’outils pourtant demandés par le marché, comme par exemple les méthaniseurs de bio-déchets de proximité.
Enfin, une contrainte économique, puisque la collecte de déchet est le 2ème poste de dépense des collectivités, après les investissements. Or les collectivités locales ont vu leur budget se réduire drastiquement durant ces dernières années. Cette pression économique sur les coûts oblige donc les entreprises comme SEPUR à se réorganiser.
Des leviers de croissance possibles…
Depuis 10 ans, SEPUR se développe sur un rythme de croissance annuelle de 6% à 8%, le chiffre d’affaires étant passé de 163 M€ en 2012 pour atteindre 228 M€ en 2018. Historiquement très présent en Ile de France, où SEPUR est le leader sur son marché, l’entreprise se développe depuis quelques années en province.
Le marché des collectivités est relativement stable : il n’existe pas de dynamique intrinsèque au métier de la collecte sur le marché des déchets ménagers. La croissance se fait donc par augmentation des parts de marché au détriment des concurrents directs, et notamment les acteurs majeurs comme Veolia et Suez. Autrefois effectués en régies, 80% des collectivités ont désormais privatisé leur service de collecte, entrainant ainsi une augmentation de la compétition entre les entreprises privées, mais aussi potentiellement des réserves de croissance pour les entreprises les plus compétitives.
Sur les métiers connexes, notamment la propreté urbaine, le marché est peu actif : les collectivités conservent majoritairement leur régie municipale pour assurer ces prestations. Les métiers du recyclage nécessitent quant à eux des investissements importants. Les gros opérateurs sont déjà présents sur ces marchés depuis très longtemps, le marché est donc peu ouvert à de nouveaux acteurs, d’autant plus que la fermeture du marché chinois aux produits recyclables va fortement impacter le marché.
On parle aujourd’hui de « New déchets »: les déchets qui n’étaient jusqu’alors pas valorisés, mais qui grâce aux innovations techniques et au tri, se transforment progressivement en ressources. Les bio-déchets, qui seront revalorisés au plus près de leur lieu de production, en sont un exemple significatif. Les gros opérateurs étant obligés d’assurer l’amortissement de leurs installations, il existe donc une niche pour se développer sur ce segment des « new déchets ».
La croissance externe : une stratégie pour le groupe ?
Le marché de la collecte des déchets se décompose en 3 types d’acteurs :
- Les très grands groupes historiques et internationaux, Veolia ou encore Suez ;
- Les entreprises de taille intermédiaire telles que SEPUR, Nicollin, Pizzorno, Brangeon…
- Des acteurs de petite taille en grand nombre, réalisant entre deux et dix millions d’euros de chiffre d’affaires.
L’ambition de SEPUR consiste à trouver des entreprises de taille moyenne en province, avec pour objectif de se diversifier vers des métiers de traitement, et d’utiliser ces bases pour accélérer sa croissance.
Evolution du tri et émergence des « new déchets » : quels impacts sur le métier de la collecte ?
A côté des déchets dits « traditionnels » (les ordures ménagères et emballages), la tendance est à la valorisation de l’ensemble des déchets composants la production des ménages. De nombreux éco organismes promeuvent la collecte de ces déchets de niches inexplorées, notamment les mégots de cigarette et les déjections canines, (exemples de déchets qui ne sont aujourd’hui pas valorisés).
Une importante tendance réside également dans la collecte spécifique de bio déchets (les déchets alimentaires). Actuellement, 40% des déchets collectés en vrac dans les ordures ménagères sont en fait des bio-déchets. Ces derniers partent à l’incinération, alors qu’ils pourraient être valorisés par le biais de la méthanisation. Ceci est un procédé de production de gaz méthane en anaérobie, qui peut soit alimenter les réseaux de gaz de ville, soit être transformé en chaleur et en électricité par le moyen d’une co-génératrice.
Ces évolutions demandent à SEPUR de revoir son modèle d’exploitation, afin de continuer à répondre aux exigences de ses clients, tout en maintenant des marges normatives.
Pour aller plus loin, la digitalisation dans les métiers de la collecte :
Quels sont les enjeux pour la collecte de demain, de manière à devenir plus efficient en termes opérationnels ?
On parle tout d’abord d’Intelligence Artificielle. Une des tendances du marché réside dans la mise en place d’outils permettant de réaliser une planification prédictive des tournées, afin d’adapter au mieux ses moyens à la charge. L’objectif est de construire des modèles mathématiques permettant de calculer avec une fiabilité relativement importante les volumes futurs de déchets à collecter, ainsi que leur variabilité en fonction d’un certain nombre d’éléments exogènes tels que la météo, la consommation dans les supermarchés etc. L’objectif est de maitriser les coûts d’exploitation en optimisant le chargement de chaque benne, et donc d’adapter le nombre d’équipages et les parcours de collecte.
Dans cette optique, SEPUR a lancé un projet avec une startup rennaise pour créer un outil de planification prédictive via l’extraction de l’ensemble de la data de collecte. En s’appuyant sur un algorithme mathématique et le machine learning, il sera possible de projeter un planning quotidien complet sur l’année n+1 avec une fiabilité importante de l’ordre de 90%.
Il existe également de nombreux outils disponibles sur smartphones, tels que :
- Waster : plateforme collaborative qui permet aux administrés de se mettre en relation directe, afin de profiter des transports des individus pour amener leurs produits directement dans les déchetteries ;
- Des plateformes permettant de géolocaliser les corbeilles à papier et leur niveau de remplissage, il s’agit de poubelles connectées.
Le groupe SEPUR est particulièrement actif sur ces différents sujets connectés.
Le secteur de la collecte des déchets est en pleine mutation, et demande aux entreprises comme SEPUR des remises en question constantes de leur modèle opérationnel, afin d’assurer leur compétitivité et de continuer à répondre aux besoins de ses clients. Les enjeux sont stratégiques, et il faut faire face à différentes contraintes pour assurer la continuité du métier. Digitalisation ou encore croissance externe, les possibilités sont nombreuses. Affaire à suivre.
Interview de M. Youri Ivanov, Président de la société SEPUR :
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