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Les réponses aux environnements VUCA à l’épreuve du COVID-19 VUCA… VU QUOI ?

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Est-ce que la crise sanitaire mondiale engendrée par la pandémie du COVID-19 nous fait rentrer dans un environnement VUCA et si oui, quelles seraient nos armes pour évoluer dans ce climat ? Découvrez l’analyse de notre expert.

Le grand monde de l’innovation n’a pas échappé à la mode VUCA

L’acronyme VUCA – Volatility, Uncertainty, Complexity and Ambiguity – a été introduit par le U.S. Army War College à la fin de la guerre froide pour traduire la nouvelle nature de l’environnement qui n’était plus contrôlé par deux seules grandes puissances. Il voulait alors caractériser l’aube nouvelle qui se levait sur un monde qui pouvait dès lors devenir multipolaire et ainsi brouiller les anciens modèles établis, qu’ils soient économiques, politiques, sociétaux ou militaires.
Ces quatre lettres ont depuis quelques années énormément gagné en popularité pour qualifier en économie et sciences de gestion un environnement instable évoluant trop vite pour qu’on s’y « adapte » suffisamment rapidement. On ne disposerait alors plus suffisamment de temps pour observer ses mutations, analyser les nouveaux paradigmes, tester de nouveaux modèles d’évolution pour enfin atteindre le graal : pouvoir de nouveau « prédire ». Les environnements VUCA nous contraindraient en somme à abandonner le déterminisme car les liens de causalités deviendraient trop complexes (donc trop longs) à identifier, les résultats des modèles trop ambigus à interpréter, les causes trop volatiles, les effets trop incertains.
Comme tout concept qui gagne en popularité, l’acronyme VUCA est devenu une mode qui a été dénaturée au gré des besoins d’experts en manque de recul. Si certains spécialistes en entrepreneuriat et en sciences organisationnelles ont gardé de la hauteur quant à l’utilisation de ce concept (voir à ce propos l’excellent billet de Philippe Silberzahn, professeur à l’EMLyon sur le sujet[1]), de nombreuses publications sont parues à destination des entreprises sur comment s’adapter à des environnements dits VUCA, alors même que leur définition est matière à débat. Cela rappelle un article de Clayton M. Christensen, paru dans la Harvard Business Review[2], qui tenait à rappeler publiquement ce qu’était vraiment l’innovation disruptive, concept introduit par lui-même introduit au milieu des années 90 et qui a été largement galvaudé depuis.

Le grand monde de l’innovation n’a pas échappé à la mode VUCA, nombreux ayant voulu démontrer que certains types d’innovation participaient à l’émergence d’environnements instables : les innovations disruptives (justement), les GAFA, la révolution numérique, les réseaux sociaux, l’intelligence artificielle… jusqu’à l’uberisation de la société !

Ainsi, un environnement VUCA en innovation se caractériserait selon la plupart par des changements de comportement sociétaux et des innovations qui déstructurent respectivement les marchés et les organisations.

Le concept serait alors bien plus vieux qu’il n’y parait : les moines-copistes du moyen-âge ont dû baigner dans un environnement sacrément incertain avec l’arrivée de l’imprimerie (au point que certains ont dû se reconvertir dans le fromage et la bière : l’innovation destructrice et reconstructrice) ! Si on sait maîtriser ce qui se cache derrière les initiales VUCA, il faut également bien comprendre la notion d’« environnement » en sciences économiques. On distingue généralement deux types d’environnement pour une organisation :

  1. l’environnement « proche » (appelé parfois micro-environnement) sur lequel elle peut influer (clients, fournisseurs, partenaires, concurrents, voire marchés pour les plus influentes)
  2. l’environnement « lointain » (macro-environnement) sur lequel elle ne pas agir ou alors au prix d’énormes efforts et à très long terme.

Le macro-environnement affecte donc les modèles d’affaire d’une organisation sans qu’elle puisse y faire grand-chose, au travers de six types d’influences regroupées sous l’acronyme PESTEL (pour Politique, Economique, Sociologique, Technologique, Environnemental et Légal) : vieillissement de la population, pouvoir d’achat, fiscalité d’un pays, réchauffement climatique, régulation d’un marché, etc. VUCA caractériserait donc un macro-environnement dans lequel les organisations doivent évoluer.

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Le COVID-19 nous rend-il l’environnement VUCA ?

Alors se pose la grande question : est-ce que la crise sanitaire mondiale engendrée par la pandémie du COVID-19 nous fait rentrer dans un environnement VUCA et si oui, quelles seraient nos armes pour évoluer dans ce climat ? Reprenons tout d’abord chaque dimension de l’acronyme et tâchons de voir si l’environnement actuel y répond.

1/ Volatilité : la volatilité est d’abord une propriété physique qui traduit la propriété d’un corps, généralement liquide, qui a tendance à se vaporiser.

Il n’est pas étonnant que le monde de la finance ait repris le terme pour mesurer l’ampleur des variations du cours d’un actif financier. La volatilité sert alors de paramètre de quantification du « risque » de rendement et de prix d’un actif financier. Un marché est habituellement taxé de volatile lorsque les prix peuvent évoluer rapidement tant à la baisse qu’à la hausse. Lorsque le marché est volatile, les modèles prévisionnels déterministes perdent leur sens et on leur préfère généralement des modèles stochastiques (Black et Scholes par exemple) pour gagner en précision. Cependant, plus le marché est volatile, moins les prédictions seront justes au fur et à mesure que l’on se projette dans le temps.

On peut affirmer que le COVID-19 a créé un environnement volatile et ce pour des raisons qui vont au-delà de la seule observation des marchés financiers depuis le début de la crise sanitaire.

D’un point de vue sociologique d’abord, on s’aperçoit que les peuples et les individus ne réagissent pas de la même manière vis-à-vis du virus lui-même (peur de la contamination, inquiétude pour les êtres chers…) mais également de ses impacts psycho-sociaux (réaction au confinement, méfiance/défiance envers les pouvoirs publics, chômage partiel, suspension des projets de vie, etc.). De nombreuses études en sciences humaines et sociales fleurissent aujourd’hui pour mesurer les effets de la situation actuelle sur nos réactions et comportements en fonction de nombreux paramètres sociaux. Pour une raison somme toute assez simple : il n’existe aucun précédent à cette situation exceptionnelle et donc aucun modèle prédictif suffisamment robuste.

2/ (U)Incertain : l’incertitude peut être vu comme une absence d’information objective sur un environnement donné.

En environnement stable (ou « quasi-stationnaire »), nous sommes capables de développer des modèles prédictifs en rassemblant de l’information du passé en quantité suffisante pour les projeter dans l’avenir et mieux appréhender ce qui pourrait se passer dans un avenir plus ou moins proche.

A l’apparition du COVID-19, l’environnement était par nature incertain car il s’agissait d’un nouveau virus. Puis des comparaisons ont été faites avec d’autres virus (le SRAS et la grippe en particulier), avec d’autres épisodes pandémiques (grippe espagnole, peste !), et les pays qui se préparaient à la pandémie ont tenté de s’inspirer de ceux qui l’affrontaient déjà sur leur sol (Chine, Corée du Sud, Italie). L’incertitude paraissaient donc diminuer au fur et à mesure que le virus se développait. Mais, comparaison n’est pas raison.

Comme les virologues le pressentaient, le COVID-19 n’est ni la grippe, ni le SRAS. Non, la France ne peut pas s’inspirer de ce qui a été fait en Corée du Sud, en Chine, voire même aujourd’hui en Allemagne ou en Suède : nous avons des systèmes de soins et des moyens médicaux différents, des géographies et des démographies variées, des cultures (et c’est heureux !) singulières.
Ainsi, dans les premières semaines qui ont suivi l’apparition du COVID-19 l’incertitude augmentait à chaque fois qu’on découvrait une de ses spécificités. Une situation non pas inédite dans l’histoire, mais extraordinaire depuis plusieurs décennies. Il faut dès lors se résoudre à accepter notre méconnaissance (au niveau systémique) et envisager de reprendre les études presque depuis le début. «Tout ce que je sais, c’est que je sais que je ne sais rien» nous disait Socrate : un bel exemple d’humilité dans une époque où l’humanité se prétend trop souvent omnisciente.

3/ Complexe : se dit lorsqu’un système a un comportement qui ne peut pas être décrit seulement à partir de la connaissance de ses composants et de leurs interactions.

Pour dire les choses autrement, un environnement est complexe lorsque les relations de causalité sont rompues : on connait les données d’entrée, on les rentre dans des modèles déterministes et malheureusement… cela ne correspond pas tout à fait aux observations. On peut certes affiner les modèles pour se rapprocher au plus proche de ce qui « est », mais mathématiquement parlant, les solutions ne seront qu’approchées. Dans la majeure partie des cas, ça ne pose pas trop de soucis. Un système à trois corps est un exemple « simple » de système complexe : on sait par exemple que le système solaire est instable, mais ça ne veut pas dire que nous allons percuter Mars dans le prochain siècle ! Tout est donc affaire de temps et de biais entre les résultats des modèles et des observations.
Mais il existe des systèmes complexes particuliers où la machine s’emballe particulièrement vite et pour lesquels les modèles prédictifs décrochent rapidement des observations : les systèmes chaotiques. C’est ce Edward Lorenz nommait métaphoriquement « l’effet papillon » : « Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? ».
Il est difficile d’affirmer que le COVID-19, comme tout phénomène pandémique, est complexe au sens mathématique, ou simplement difficile à modéliser. Mais les intrications liées à sa propagation sont telles (conséquences sanitaires, économiques, sociétales, environnementales, psychologiques, etc.) que le phénomène ne peut appréhender que de manière holistique ou systémique.

Ainsi, il faut bien accepter qu’une décision sur un élément du « système » COVID-19 peut avoir des répercutions inattendues sur d’autres éléments éloignés : le choix du confinement est une décision sanitaire qui aura des répercutions encore non chiffrées (« déterminées ») sur l’économie, le « moral » des populations, l’environnement, les comportements, les usages, etc.

Le choix du déconfinement est tout aussi complexe et suscite de nombreuses interrogations (pour ne pas dire craintes), et nombreuses sont les voix discordantes sur la manière de le conduire et sur les conséquences qu’il engendrera. Si l’environnement COVID-19 est réellement complexe, il faudra se résoudre à accepter le tâtonnement et reconnaître le droit à l’erreur. Pas facile lorsqu’il s’agit de problématiques de santé publique, de pouvoir d’achat, ou de changement de mode de vie.

4/ Ambigu : l’ambiguïté caractérise l’équivocité des explications ou du sens qu’on peut avoir d’un même phénomène.

Dans le cas du COVID-19, quels phénomènes pourraient être sujets à plusieurs interprétations ? Comme citoyens non-spécialistes, il nous est difficile de remettre en cause les résultats et observations scientifiques qui ont pu être diffusés jusqu’alors : la communauté scientifique saura démêler elle-même les études ou les protocoles fantaisistes des résultats dignes de confiance.
En revanche, dans les systèmes démocratiques, le citoyen est en droit de juger, tout du moins de se prononcer, sur l’action politique qui est déployée pour répondre à la crise et qui découle de sa propre analyse de la situation (sous les conseils, en France, du conseil scientifique présidé par Jean-François Delfraissy).

S’il existe par exemple aujourd’hui un consensus autour de la nécessité de mettre en œuvre des gestes barrières pour ralentir la propagation du virus (même s’ils ne sont pas encore appliqués par tous, tout le temps, et dans toutes les situations), nombre de décisions sont sujettes à débat, dans un pays où la confrontation politique est un sport national : formalités concernant la réouverture des écoles, stratégie de confinement, modalités des soutiens à l’économie et à l’emploi, droit d’accession aux masques et gels hydroalcooliques, etc.

Cela fait environ 67 millions de façon différentes de penser et de ressentir les choses aujourd’hui, d’après le dernier recensement de l’INSEE en date. Si l’unité nationale peut faire des merveilles sur le court terme et fédérer les citoyens comme nous le voyons encore tous les jours, dans la durée, par la multitude des situations individuelles et par la dureté qu’implique une crise sanitaire de cette ampleur, les intérêts personnels risquent de prendre une dimension inédite par rapport aux intérêts collectifs et nationaux. Un exemple de décision parmi d’autres, révélateur de l’ambiguïté de l’environnement : la réouverture des écoles. Créant la surprise dans son allocution du 13 Avril 2020, Emmanuel Macron annonçait qu’à partir du 11 mai, seraient rouvertes « progressivement les crèches, les écoles, les collèges et les lycées ». En revanche, dans l’enseignement supérieur, « les cours ne reprendront pas physiquement avant l’été ». Une partie de la population accueillait dès lors cette annonce avec joie lorsque dès le lendemain, une autre partie, moins spontanée sûrement, se posait déjà une multitude de questions stratégiques (pourquoi les établissements scolaires seraient les premiers à rouvrir alors même qu’ils étaient les premiers à fermer au début du confinement) et opérationnelles (comment faire respecter la distanciation sociale à des enfants en crèche ou maternelle ou à des adolescents en mal de sociabilisation). Et ce, que l’on soit parents d’élèves, enseignants, médecins ou écoliers directement. Prenant la pleine mesure des interrogations de la population, Jean-Michel Blanquer annonçait dès le lendemain que la réouverture de certains établissements ne serait pas obligatoire, laissant même aux parents le choix de renvoyer leurs enfants dans les salles de classes.

Ainsi, ambiguïté d’une telle mesure, la complexité de sa mise en œuvre et l’incertitude de ses conséquences en matière de santé publique et d’impacts psycho-sociaux vont sûrement pousser un gouvernement, très directif au début du confinement, à laisser à une partie de la population son libre arbitre s’exprimer, sa liberté de choix décider, ses intérêts personnels et familiaux primer.

C’est peut-être ainsi sur cette prochaine période, dite « de déconfinement » que nous allons mesurer pleinement ce qu’est réellement un environnement VUCA. Il se caractérisera irrémédiablement par de l’approximation dans l’interprétation des résultats scientifiques, des périodes de flottement et des atermoiements dans les choix stratégiques, du tâtonnement dans les prises de décisions politiques et fatalement des appréhensions chez les acteurs publics et privés du déconfinement et dans les foyers.

Heureusement, la littérature foisonne de méthodes à mettre en œuvre, d’outils à utiliser, voire de postures à adopter pour continuer d’« agir en homme de pensée et penser en homme d’action » comme le disait Henri Bergson, même en environnement VUCA. Mais à la vue de la situation inédite que nous vivons, il s’agira dans un deuxième article de mesurer si elles tiennent toutes leurs promesses…

 

[1] https://philippesilberzahn.com/2017/05/29/organisation-et-son-environnement-probleme-avec-acronyme-vuca/

[2] https://www.hbrfrance.fr/magazine/2016/11/12714-quest-ce-que-linnovation-disruptive/

 

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